Le discours des défenseurs des droits des hommes sur la violence conjugale
Une analyse critique (Complète en 28 pages)
Normand BRODEUR
Étudiant au doctorat
École de service social
Université Laval
normand.brodeur@sympatico.ca
http://www.erudit.org/revue/ss/2003/v50/n1/006925ar.pdf
Résumé par Michel WILLEKENS en 7 pages
Se disant victimes d'injustices non reconnues, les défenseurs des droits des hommes dénoncent le discours féministe sur la violence masculine et les politiques sociales mises en place depuis vingt ans pour combattre la violence conjugale. Cet article résume leurs principaux arguments à partir d'une analyse de contenu de trois ouvrages publiés au Québec. La seconde partie de l'article situe ces arguments à l'intérieur des controverses autour de la définition de la violence, de la violence des femmes et du maintien d'un équilibre entre les droits des victimes et ceux des personnes accusées devant les tribunaux. Elle fait aussi état de données qui remettent en question les thèses des défenseurs des droits des hommes sur la symétrie générale de la violence entre les sexes et sur la discrimination systématique dont les hommes seraient victimes au sein du système judiciaire.
(…)
À l'origine, l'analyse présentée ici constituait un exercice universitaire réalisé dans le cadre d'un cours sur la condition masculine (…). Trois ouvrages ont ainsi été retenus.
Le premier est le Manifeste d'un salaud de Roch Côté (1990). Ce livre au style pamphlétaire2 a été écrit à la suite des événements dramatiques survenus à l'École Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989. L'auteur y déconstruit, dénonce et tourne en dérision les arguments d'auteurs féministes qui ont vu dans l'assassinat des 14 jeunes femmes l’expression extrême d'une violence exercée quotidiennement contre les femmes.
Le second ouvrage, intitulé Coupable d'être un homme : violence conjugale et délire institutionnel, a été écrit par Georges Dupuy (2000), un militant du Groupe d'entraide aux pères et de soutien à l'enfant (GEPSE). L'auteur s’élève contre la Politique d'intervention gouvernementale en matière de violence conjugale (Gouvernement du Québec, 1995), ainsi que contre les pratiques du système pénal envers les hommes accusés dans une affaire de violence conjugale.
Le dernier ouvrage est Homme et fier de l'être, d’Yvon Dallaire (2001). Ce livre dénonce les préjugés contre les hommes et s'intéresse à l'épanouissement de l'homme dans le couple et dans la société.
(…)
Les auteurs et les groupes qui s'inscrivent dans ce courant de pensée affirment qu'ils font l'objet d'injustices non reconnues, tant sur le plan légal, social que psychologique, et qu'ils constituent les nouvelles victimes du sexisme dans la société contemporaine. Par conséquent, ils s'organisent afin de défendre les droits des hommes dans les causes de divorce, mettent en doute la pertinence des programmes de discrimination positive en faveur des femmes et dénoncent les publicités qui véhiculent une image négative de l'homme.
(…)
S'appuyant sur des citations tirées de la littérature féministe, les auteurs étudiés soutiennent que le féminisme a instauré un véritable procès de l'homme que l'on accuse d'être généralement violent et misogyne (…). Elle vise tous les hommes, car ces derniers sont perçus comme étant solidaires et complices de la violence, même lorsqu'ils ne sont pas auteurs d'agressions directes contre les femmes. Dallaire (2001) abonde dans le même sens en affirmant que tous les hommes sont victimes de préjugés qui les présentent comme des êtres violents, des violeurs en puissance ou des abuseurs d'enfants. Selon les auteurs, l'homme est aussi accusé d'être dévoré par la soif du pouvoir, de ne pas avoir de respect pour la femme et de dégrader la nature constamment. On lui attribue de plus l'entière responsabilité des guerres, des massacres, du totalitarisme et de tous les autres maux qui affligent l'humanité. L'antidote à ce mal universel serait d'accroître la présence des femmes dans toutes les sphères de l'activité humaine (…) Ainsi, Dallaire (2001) mentionne que les pères sont perçus comme des menaces pour leurs enfants, que les garçons n'ont plus de modèles positifs auxquels s'identifier, que les filles se méfient des garçons et que les femmes perçoivent la sexualité masculine comme agressive et violente.
(…)
Les auteurs situent le procès intenté à l'homme dans le contexte d'une guerre des sexes qui fait rage autour d'enjeux comme le partage des tâches domestiques, la décision d'avoir ou non des enfants et la négociation des besoins de chacun. Bien que cette guerre se déroule dans le quotidien des couples, c'est dans les situations de rupture et de divorce qu’elle atteint son paroxysme. La garde des enfants, le partage des biens et la perte du sens à la vie, (tout cela) devient alors des enjeux « si importants qu'ils font oublier toute prudence aux belligérants » (…).
Pour les auteurs étudiés, il ne fait pas de doute que les hommes sont les grands perdants de la guerre entre les sexes. Ces auteurs estiment que le divorce, motivé de plus en plus par des raisons égoïstes (voir, par exemple, Dallaire, 2001, p. 141) a un impact psychologique plus lourd pour les hommes que pour les femmes qui, dans la majorité des cas, en sont les instigatrices.
Cette situation déjà difficile serait aggravée par les injustices que les hommes subissent au moment des divorces. À ce propos, Dupuy (2000) affirme que les femmes peuvent maintenant obtenir facilement la garde des enfants et s'approprier les biens du couple en faisant de fausses allégations de violence conjugale. Il n'est pas clair dans les propos de l'auteur si cette tactique est le fait de quelques femmes « qui exploitent à leur avantage un système vicié » (p. 11) ou si le « coup monté, préparé et soigneusement orchestré » est « typique » des situations où des accusations de violence conjugale sont portées (p. 18). Les verdicts de culpabilité non fondés seraient toutefois en forte augmentation (p. 84).
Pour Dupuy (2000), les femmes qui font de fausses allégations de violence tentent d'utiliser les moyens mis à leur disposition pour améliorer leur position stratégique. Ce qui est plus grave à ses yeux, c'est que le système de justice défend inconditionnellement leur point de vue au lieu de faire éclater la vérité.
Les hommes, dit-il, sont « broyés » (p. 35) par ce système qui présume de leur culpabilité avant même qu'ils aient ouvert la bouche (p. 70), qui s’appuie sur un arsenal de moyens pour les éloigner de leur famille et qui les prive d'une défense pleine et entière. En plus de dénoncer l'introduction dans le Code criminel du délit de harcèlement, le traitement des dossiers par procédure sommaire, l'utilisation fréquente de l'article 810 du Code criminel 4 et les restrictions dans l'accès à l'aide juridique, l'auteur critique le parti pris des acteurs du système pénal. Il reproche aux policiers de bâcler les enquêtes, aux juges d'errer dans l'interprétation des faits, aux substituts du Procureur de la couronne de terroriser les hommes en les menaçant de procédures supplémentaires et aux avocats de la défense de plaider sans conviction.
Les injustices dont les hommes sont victimes de la part du système judiciaire sont à son avis le fruit d'un « véritable complot » (p. 35) qu'il assimile à la persécution des juifs par les nazis (p. 10), au maccarthysme (p. 175), à la chasse aux sorcières (p. 56) et au « goulag judiciaire » (p. 71).
(…) Selon les auteurs étudiés, plusieurs facteurs expliquent que les hommes soient soumis à un procès symbolique et à des accusations criminelles injustes. Tous s'entendent toutefois pour en attribuer la responsabilité première à un féminisme qu'ils qualifient de « doctrinaire », « extrémiste », « intégriste » ou « exacerbé ».
Les trois auteurs se défendent cependant d'être antiféministes.
(…) un féminisme « doux » peut contribuer au développement d'une société plus égalitaire où les individus seront plus autonomes, les couples plus intimes et les enfants plus heureux, l'homme et la femme étant tous les deux gagnants (Dallaire, 2001, p. 307).
(…) Le féminisme « extrémiste » serait ainsi devenu une nouvelle dictature cherchant à corriger une injustice en en créant une autre et à « faire payer aux méchants tout ce qu'ils ont fait aux victimes » (Dallaire, 2001, p. 19).
(…) le féminisme « doctrinaire » repose sur un mode de pensée manichéen qui divise le monde entre bons et méchants, l'homme faisant office de « Grand Satan »
(…) Tous soulignent que la pensée dichotomique déforme les faits en passant sous silence la contribution positive des hommes à la famille et à la société.
(…) les féministes cantonnent tous les hommes dans un rôle de salaud. Ceux-ci sont ensuite condamnés au silence, puisque toute personne qui remet la « parole sacrée » en question risque selon l'auteur d'être vilipendée sur la place publique et accusée de misogynie...
(…) Le féminisme « extrémiste » a pu s'imposer, disent les auteurs, parce qu'il a bénéficié de la complicité d'hommes pro féministes. Dallaire (2001) présente ces derniers comme des hommes qui, ne pouvant « sentir leurs semblables » (p. 67), se mettent volontairement du côté des féministes pour combattre leur propre sexe; ce sont, en d'autres termes, « des loups dans la bergerie »…
(…) Le féminisme « extrémiste » bénéficie aussi de la complicité de politiciens et d'institutions sociales que les auteurs dénoncent au passage…
(…) les politiciens qui accordent des budgets dérisoires aux groupes venant en aide aux hommes en difficulté…
(…) les médias qui font la promotion des valeurs féminines (…) et reprennent sans discernement le discours féministe sur la violence conjugale…
(…) Les plaignantes de mauvaise foi y ont la partie facile, dit-il, puisqu'elles n'ont qu'à alléguer une agression sexuelle, de la violence conjugale ou du harcèlement criminel pour que se mettent en branle des procédures judiciaires contre leur conjoint. Et elles n'ont pas à subir de conséquences en cas d'accusations mensongères.
Les auteurs expliquent finalement le maintien des injustices faites aux hommes par leur propre faiblesse. Habités par des sentiments de honte, de culpabilité et de peur, ils ne réagissent pas avec la vigueur qu'il faudrait aux accusations dont ils sont victimes. L'homme moyen, envahi par la honte d'être du côté des exploiteurs, cherche la rédemption dans la passivité et le silence face au discours féministe (…).
L'homme qui doit faire face à des procédures judiciaires injustes se laisse pour sa part manipuler et fait tout pour tenter d'étouffer l'affaire dans laquelle il est impliqué (…)
Les auteurs étudiés veulent restaurer l'image de l'homme ternie par le féminisme « doctrinaire » et mettre fin au sexisme dont les hommes sont victimes. Pour atteindre ces buts, ils cherchent à redéfinir les réalités décrites par les féministes et proposent leur propre projet de société.
(…)
Les trois auteurs reconnaissent que le problème des femmes victimes de violence conjugale est réel. Ils estiment cependant qu'il a été mal posé par le mouvement féministe et s'emploient à le redéfinir. Ils critiquent d'abord la définition de la violence conjugale qui est à leur avis beaucoup trop large…
(…) Violence « économique », violence « psychologique », violence « verbale », l'aire sémantique du mot « violence » a tellement été étirée qu'on peut y mettre à peu près n'importe quel comportement…
(…) il ne saurait être question d'étendre ainsi le sens du mot « violence », dont la définition doit être limitée au meurtre, au viol et aux coups et blessures (…)
Les féministes considèrent la violence comme un instrument de domination et dénoncent la tendance des hommes à vouloir contrôler leur partenaire. (…) les hommes entrent naturellement en relation selon un mode hiérarchique. S'ils veulent ordonner les choses, dit-il, c'est pour qu'elles fonctionnent bien et non pas pour dominer leur partenaire.
(…) les auteurs concluent que la violence des hommes est sur évaluée, alors que celle des femmes est sous-évaluée. En réalité, disent-ils, la violence des hommes et des femmes est parfaitement symétrique, tant en fréquence qu'en sévérité.
(…) qu'il y a autant d'hommes que de femmes tués par leur conjoint.
(…)
En calculant ainsi le nombre de personnes qui décèdent des suites de la violence conjugale, dit-il, on en arriverait à reconsidérer le déséquilibre apparent, puisque les hommes se suicident beaucoup plus souvent que les femmes et que plusieurs d'entre eux le font « après avoir été privés sans raison valable de leurs enfants et de leur maison, ou après avoir été emprisonnés sans motif »…
(…)
La société à laquelle les auteurs aspirent devra reconnaître davantage « ce que les hommes ont fait, font et continueront de faire pour l'amélioration de l'Humanité »
(…)
Considérant les fausses allégations de violence conjugale et le parti pris des institutions en faveur des femmes comme des menaces pour la démocratie, Dupuy (2000) veut éviter les dérapages et protéger les droits des personnes accusées. Il revendique donc le retrait complet de la politique gouvernementale d'intervention en matière de violence conjugale, ainsi que de toute politique similaire fondée sur le principe de la tolérance zéro. Il réclame également une série de modifications au fonctionnement de l'appareil de justice, par exemple : le retrait des directives données aux policiers pour l'arrestation systématique des hommes lorsqu'il y a allégations de violence conjugale; l'exigence de preuves directes pour justifier les arrestations; la prise en note par les policiers des démentis de l'accusé; la prise en compte de la notion de doute raisonnable par les juges; la justification des décisions du tribunal par écrit; la tenue systématique des enquêtes préliminaires auxquelles les accusés ont droit; la possibilité pour les accusés de contre interroger eux-mêmes la plaignante; et le retrait de l'article 810 du Code criminel.
(…)
Le programme d'action
Le programme d'action proposé par les auteurs se compose de stratégies individuelles et collectives. (…) les hommes faussement accusés de violence conjugale devront (…) défendre leur cause avec détermination, en assurant si possible leur propre défense et en utilisant tous les recours dont ils disposent.
Cela inclut notamment des poursuites civiles contre la plaignante, les corps policiers et le Procureur général lorsque les accusations s'avèrent sans fondements.
(…)
Sur un plan collectif, les auteurs proposent quatre stratégies d'action complémentaires.
Premièrement, les hommes doivent dénoncer publiquement le discours féministe sur la violence masculine et la violence conjugale en publiant des livres consacrés à la cause des droits des hommes ou en utilisant d'autres médias. (…) que la presse écrite constitue un véhicule privilégié pour livrer ce type de message.
Le deuxième élément de la stratégie consiste à mettre sur pied des associations vouées à la défense des droits des hommes dont la mission consiste, d'une part, à mener la lutte politique et, d'autre part, à donner aux membres des services concrets.
Le troisième élément de la stratégie consiste à attirer l'attention des autorités sur la situation des hommes. Dans le cadre de cette lutte politique, divers groupes de défenseurs des droits des hommes ont sollicité la tenue de commissions parlementaires, et (ils ont) organisé des manifestations publiques pour dénoncer les politiques gouvernementales d'intervention en matière de violence conjugale.
La politique québécoise a même été dénoncée auprès de l'Organisation des Nations Unies (ONU) (Dupuy, 2000).
Enfin, le dernier élément de la stratégie proposée se situe sur le terrain de la recherche. Alléguant que les féministes et leurs alliés bénéficient de millions de dollars de fonds publics pour conduire des études biaisées en faveur des femmes, Dupuy (2000) réclame sa part de subventions gouvernementales afin de réaliser ses propres études sur les injustices dont les hommes sont victimes.
(…)
Suite :
- Définition, fonction et explication de la violence, p 159
- La symétrie de la violence, p. 162
- La réponse du système judiciaire, p. 165
- RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES, p. 170
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Les défenseurs des droits des hommes et la violence
Une analyse critique complète en 28 pages (pages 145 à 173)
à lire sur
http://www.erudit.org/revue/ss/2003/v50/n1/006925ar.pdf
CONCLUSION
Cet article visait d'abord à présenter une vision d'ensemble du discours des défenseurs des droits des hommes sur la violence masculine et la violence conjugale à partir de trois ouvrages québécois.
L'analyse thématique met en évidence le fait que ces hommes se perçoivent comme les victimes d'un procès où ils se voient injustement accusés de violence généralisée et de misogynie. Cette image négative ternit l'image masculine et cause aux hommes des préjudices psychologiques, sociaux et matériels. Elle entraîne une répression policière et judiciaire démesurée envers les hommes accusés de violence conjugale par leur conjointe.
Les auteurs étudiés attribuent ces injustices envers les hommes à la montée d'un féminisme doctrinaire et fermé à la critique. Ils entendent combattre ce nouveau sexisme en limitant la définition de la violence à ses formes les plus graves, en contestant les statistiques officielles sur la violence faite aux femmes, en décrivant la violence conjugale comme un phénomène parfaitement symétrique et en plaidant pour une plus grande tolérance à l'égard des agressions mineures. Pour mener leur combat, ils mettent sur pied des associations de défense des droits des hommes, dénoncent publiquement le discours féministe sur la violence, exercent des pressions politiques et revendiquent des budgets de recherche.
Dans la seconde partie de l'article, nous avons fait état de données scientifiques qui remettent en question les thèses des défenseurs des droits des hommes sur la symétrie générale de la violence entre les sexes et sur la discrimination systématique dont les hommes seraient victimes au sein du système judiciaire.
Nous avons aussi tenté de montrer que les définitions courantes de la violence, la question de la violence féminine et l'équilibre entre la protection des victimes et celle des droits des accusés font depuis longtemps l'objet de débats parmi les chercheurs et les intervenants qui s'intéressent à la violence conjugale. Il s'agit là de sujets complexes ou peu explorés pour lesquels il y a toujours matière à réflexion. Comme Straus (1999) l'a déjà indiqué, il est peu probable que l'on en arrive un jour à de véritables consensus autour de ces questions controversées, compte tenu des objectifs politiques différents poursuivis par les acteurs qui prennent part au débat. Il faut toutefois souhaiter que la discussion se poursuive dans un esprit d'humilité et d'ouverture, en se rappelant que les théories sur les causes de la violence conjugale demeurent toujours embryonnaires, même après trente ans de recherche (Harway et O'Neil, 1999). Pour manifester cette ouverture d'esprit, les défenseurs des droits des hommes doivent à notre avis dépasser leur opposition au féminisme radical et considérer davantage l'apport théorique que le mouvement de défense des femmes violentées a fourni.
Info Diffusion : Collectif La Vie de Pères
23/02/2008 13:20:15